PUBLICATION RUBRIQUE "LES FEUILLETS" DU MAGAZINE "CARNET D'ART" (SEPTEMBRE 2013)



Photo retenue par le magazine Carnet d’Art, rubrique “Les Feuillets”, en miroir du texte "Ce souvenir" de Jean Belmontet.

Photo used by the magazine Carnet d’Art in “Les Feuillets”, mirroring the text "Ce souvenir" by Jean Belmontet.


Que reste-t-il des feux qui cuisaient autrefois
Mes tripes de malade et mon cerveau de hère ?
Car depuis qu’ils sont morts, je me sens bien qui erre
Dans des forêts sans bouts pleines de tristes voix.
Je me souviens qu’un jour, en arrachant mon corps
D’un lit rempli de nuits à broder des journées,
Je crus fort aux amours pour toujours incarnées
Et j’eus plantés au front d’enthousiastes accords.
On avait mis un rêve, un printemps, un charbon
Au fond de mon cerveau ; on avait mis l’envie
De souffler un esprit dans la viande sans vie ;
On avait étouffé le cri du moribond.
Je rayonnais alors de mille éclats trop blancs ;
Plus jamais excédé, et vidé du sinistre,
Mon cœur avait trouvé en ma bouche un ministre
Pour exprimer l’ardeur de mes heureux élans ;
Je disais que le pleutre est celui qui se meurt
Dans les bras décharnés du désarroi facile ;
Je disais que l’idiot est celui qui oscille
Entre la larme froide et la mauvaise humeur.
Je croyais pour de bon à l’espoir d’être heureux ;
J’allais manifester pour signifier aux filles
Que le frêle maraud pendu à leurs chevilles
Avait l’âme solide et l’amour valeureux !
J’aimais m’abandonner entre deux bras rosis
Par la pluie incessante où se noyaient les phrases ;
Je chassais d’un front froid d’humides mèches rases
Pour voir entre les flots rire les yeux transis ;
J’aimais toucher un dos en jetant un frisson,
Tandis que l’odeur moite et le bruit de l’eau verte
Se calmaient lentement ; j’aimais la peau déserte
Entre deux seins pointés sous un pull de garçon.
J’aimais tenir la main ; le trottoir détrempé
Etait toujours, avec son glouglou et sa crasse,
L’endroit où je recoiffe et l’endroit où j’embrasse ;
J’aimais saisir la bouche et surtout la lamper.
J’aimais enfin, toujours, de mon doigt qui gouttait,
Montrer aux yeux ces ciels qui étaient des éponges,
Et dire à haute voix d’insatiables mensonges
 Alors qu’un arc-en-ciel entre nous se voûtait.
Hélas un jour, d’abord par de sourdes fissions,
Puis par de petits trous, puis par d’amples brisures,
L’immonde lassitude imposa ses usures,
Malgré les masques que, naïfs, nous nous tissions.
Ce fut d’abord un mot, un vrai mot de mépris,
Qui fut lâché dans l’âtre à moitié par mégarde ;
Ce fut ensuite l’axe où l’amour se regarde
Qui fut dévié et mis trop loin de l’être épris ;
Ce fut un faux sourire et un rire forcé ;
Ce fut un long soupir quand on écoute l’autre ;
Ce fut l’amour commun contaminant le nôtre ;
Mais c’est bien au silence où tout fut amorcé.
Le petit ennui froid devint rire arrogant ;
L’agacement devint le début de l’ulcère,
L’ulcère se changeant en purin qui macère ;
Et le purin devint l’implacable ouragan.
C’est ainsi qu’un matin, qui sentait comme un soir,
Surgit d’entre mes rots l’ultime déferlante ;
Et comme une évidence altière et insolente,
Je meuglai à mon lit de se taire et s’asseoir.
La cascade massive arriva de dedans ;
Je lâchai tous mes lions et j’explosai la vanne ;
A la gueule du ciel qui crache et se pavane
Je vomis mon espoir et je crachai mes dents.
Tout y passa ; l’amour ; l’envie et le désir ;
L’orgasme, la bonté, la caresse et l’osmose ;
Tout s’écrasa sans gloire en tas poisseux et rose
Et instantanément commença à moisir.
Furieux, le ciel souillé me gifla et son bleu
Devint un noir glacial, intense et qui écrase ;
Je tentais, étouffant, d’annuler d’une phrase
Ma folie et ma crise ; hélas, hélas ; il pleut.
Vide, vide, trop vide, ah que vide est mon cœur.
En réfutant l’amour j’ai réfuté la crise ;
Mais l’amour quoiqu’il blase, et qu’il lisse, et qu’il grise,
Vide il ne l’est jamais ; il sent bon la liqueur,
Il agite, il avance, il dessine en riant ;
Il est fou ou taiseux, il est calme ou torride,
Il est morne ou ardent mais il n’est jamais vide.
Vide, vide, mon cœur se dévide en criant.
Je n’ai plus de sommier, de table ou de bastion,
Je n’ai plus de venin, de sang, de feu, de sève,
Je ne bous plus du tout, je n’ai pas même un rêve ;
Comme un refrain moqueur me revient la question :
 Que reste-t-il des feux qui cuisaient autrefois
Mes tripes de malade et mon cerveau de hère ?
Car depuis qu’ils sont morts, je me sens bien qui erre
Dans des forêts sans bouts pleines de tristes voix.

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